POURQUOI LA TERRE EST-ELLE ROUGE EN GUYANE ?
Quand je suis arrivée en Guyane, j'ai été frappée par la couleur de la terre.
Partout, elle a cette couleur rouge avec des nuances variées selon l'endroit. Longtemps, je me suis posée cette question naïve : "mais pourquoi est-elle rouge ?" Je me suis tournée vers notre géologue familial, Georges Beaufils. Retraité mais toujours en recherche, il a parcouru en pionnier avec son épouse, pendant une grande partie de sa vie professionnelle, les terres de l'Amérique du Sud.
Voici la réponse de l'expert :
"Cette terre rouge n'est pas
réservée à
C’est une caractéristique des zones tropicales et intertropicales du monde entier qui relève de ce que l’on appelle la « latérite » mais plus scientifiquement les carapaces « latéritiques ». Ces carapaces résultent dune altération d'un mode particulier dit "latéritique" des roches sous jacentes.
Il existe une théorie à laquelle les géologues semblent adhérer uniformément, qui attribue ça à un mode de "lessivage" particulier de l'altération "superficielle" des roches en climat du genre équatorial où alternent des périodes pluvieuses très chaudes et très humides sous couverture végétale et marécageuse et des périodes très sèches de dessiccation intense.
Le premier est essentiellement
une argilisation des roches qui se produit à toutes les latitudes de
façon extrêmement similaire. Tu as peut être remarqué dans nos régions que
lorsqu'on fait des terrassements les roches qui apparaissent les premières sous
la terre végétale sont généralement des formations tendres blanchâtres,
jaunâtres, grisâtres, parfois bariolées de rouille, qui forment de la boue avec
l'eau, alors que les roches saines dont elles dérivent sont de la pierre, des
choses très dures qui ne risquent pas de se délayer en boue dans l'eau de
pluie. Cette altération là je crois qu'elle existe partout identique à
elle-même depuis les pôles jusqu'à l'équateur. Pour moi c'est la forme normale
du monde minéral dans les conditions physicochimiques de notre chère surface : sur
cette surface il pourra se déposer tout naturellement des sables argileux de
toutes sortes à composition pouvant être tout à fait équivalente à celle d'un
gneiss ou d'un granite mais il ne pourra jamais se former ce granite qui demande
des températures et pressions d'un tout autre ordre. Par contre tout granite
hissé jusque là par les mouvements tectoniques et découvert par l'érosion,
pourra, pour peu qu'il rencontre le catalyseur démarreur convenable
(hydrothermal semble-t'il) se transformer en arène argileuse, de façon
irréversible (jusqu'à nouvel enfoncement profond par les forces tectoniques).
La deuxième partie du phénomène
est typique celle là des zones chaudes à alternances humides en tout cas ce sont les zones les plus exposées
au soleil. On a affaire à un remaniement
chimique et physico-chimique intense de ces formations altérées de surface issues
du phénomène général. Ce remaniement physicochimique, "lessivage" mobilise spectaculairement
le fer sous sa forme "rouille" la plus oxydée, brune à l'état massif,
rouge sang à l'état finement divisé.
C’est cette rouille qui est la cause de cette couleur rouge qui t’a frappée à juste titre.
Ces niveaux indurés sont nommés "cuirasses"
et apparaissent comme de véritables strates parfois avec plusieurs bancs
individuels superposées sur une épaisseur totale pouvant dépasser la vingtaine
de mètres d'épaisseur voire parfois plus.
Elles constituent souvent une ossature très marquante du paysage. Leurs
falaises (en général modestes quelques mètres) peuvent parfois se suivre sur
des kilomètres en continu et on les retrouve de proche en proche sur des
centaines de kilomètres où leur surface plane, rocheuse, stérile, jonchée de
minces mares ou flaques dès le début de la saison des pluies se recouvre vite
d'une merveilleuse prairie drue et fine parfois jonchée de fleurettes, régal temporaire
pour les yeux mais très vite véritable désert à chèvres (et encore … pas trop
nombreuses). Plus fréquemment il n'en subsiste que quelques îlots témoins du
niveau d'érosion plus ancien sur lequel elles s'étaient déposées.
Eh oui ! A l'époque de leur formation elles devaient recouvrir près de 100% des territoires continentaux de climat plus ou moins équatorial !!! Depuis, une nouvelle vague d'intense érosion a créé un nouveau niveau de pénéplaine largement plus bas, découpant en langues et lambeaux ces vastes étendues uniformément incrustées laissant entre autres dans certains endroits, exemples évidents des deux niveaux successifs d'érosion : le latéritique tout au sommet des chicots et le récent, sub-actuel, formant la savane tout autour du pied des buttes).
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Quoi qu'il en soit, ces choses ne se produisent plus aujourd'hui (sauf peut être en quelques cas particuliers, souvent très contestés, au cœur des forêts équatoriales) mais en tout cas pas à l'échelle planétaire comme celles qui t'ont intriguée. Ces dernières constituent donc des vestiges de paléo climats pas très clairement datés d'ailleurs mais relevant du Tertiaire (on en connaît aussi quelques exemples fossiles plus anciens au moins au crétacé). Ce qui est certain c'est que ces choses ont demandé beaucoup de temps pour se former et résultent d'effets cumulés pendant des milliers et des millions d'années vraisemblablement à plusieurs époques successives au cours des 60 millions d'années du Tertiaire. Quelques autres datations par la même méthode ont donné des ages plus récents (Tertiaire terminal)
Pour toi ce que tu vois sont
surtout des matériaux pulvérulents ou graveleux de destruction abrasive des
niveaux par l'érosion postérieure sub-actuelle